Mémoire suspendue
Les carrelets veillent sur la côte atlantique comme de discrètes sentinelles de bois, dressées sur leurs longues jambes patinées par les embruns et les saisons. Fragiles en apparence, ils sont pourtant solidement ancrés, défiant avec une humble ténacité les caprices de l’océan. À marée haute, nous les imaginons flotter, presque irréels, suspendus entre deux eaux, effleurant le souffle salé des vagues et le passage lent des nuages. À marée basse, ils dévoilent leurs racines fines et obstinées, plongées dans la vase et accrochées aux rochers, comme pour retenir un fragment d’horizon et ne pas céder à l’érosion du temps.
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| Depuis l'île Madame (17) |
Leurs grands filets carrés s’abaissent dans le silence, s’ouvrant avec la douceur d’ailes patientes, prêtes à cueillir un éclat de mer, un frisson d’écume, la promesse d’une prise modeste. Chaque geste est mesuré, presque rituel, héritier d’un savoir ancien transmis de génération en génération. Le bois craque doucement sous le poids du temps, le vent murmure des histoires salées, et l’eau répond dans un dialogue immuable.
Au coucher du soleil, lorsque le ciel s’embrase, chaque cabane devient un phare intime, baigné d’or et d’ombre, refuge d’une lumière discrète et chaleureuse. Nous y devinons les silhouettes des anciens pêcheurs, leurs voix mêlées au clapotis de l’eau, leurs récits suspendus entre deux marées. Les carrelets ne sont pas seulement des abris de pêche : ce sont des poèmes immobiles, écrits par le vent et la mer, qui se lisent au rythme des vagues. Fragments de mémoire vivante, suspendus entre ciel et eau, ils racontent une existence simple, humble et patiente, où chaque marée semble porter en elle une part d’éternité.

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Dominique