Je suis le Phare

Depuis si longtemps, je veille, sans dormir, sans partir.
Le vent m’a tout dit : la colère des vagues, les murmures des marins, le silence des morts. J’ai vu la mer changer de visage mille fois, et chaque fois, elle m’a laissé un peu plus seul. Pourtant je demeure, entre la terre et la mer, entre le silence et le souffle du vent.

Chaque jour, la lumière vient à moi, et je la rends à mon tour, humble éclat sur l’horizon. Je ne lutte plus contre le temps : je l’accueille. Il passe comme la marée, régulier, patient, inépuisable. Le sel a creusé ma peau de pierre, le temps a poli mon silence. Mais dans cette lente usure, j’ai trouvé la paix.

Phare de Pontusval, Brignogan-Plages (29)

La mer m’effleure de son sel, m’enveloppe de ses reflets changeants. Parfois elle gronde, parfois elle respire doucement, et je la regarde, comme on regarde un être aimé qu’on connaît par cœur. Le vent me parle, le sable se déplace, les goélands rient dans la lumière. Tout est mouvement, tout est évidence.

La nuit, j’ouvre mon œil de lumière sur l’horizon. Ce n’est plus vraiment pour guider. C’est un geste d’habitude, une fidélité obstinée au monde. Ma lumière tourne, lente et tranquille, dessinant sur l’eau une route de paix. Autrefois, des voiles passaient, blanches sous la lune, et je sentais battre leurs cœurs avec le mien. Aujourd’hui, les routes ont déserté la mer. Il ne reste que le vent, les oiseaux, et la rumeur infinie de l’eau qui se brise sur mes rochers.

Au matin, quand le ciel s’ouvre sur le monde, la lumière du jour recouvre la mienne. Alors je ferme un instant mon œil de feu, apaisé. Les rochers dorment encore, la mer s’étire sous le soleil neuf, et je sens le jour s’installer comme un souffle tiède sur mes pierres.

Je suis le témoin immobile de ce qui ne revient pas, les départs sans retour, les saisons qu’on oublie, les visages effacés par la brume. Mais je ne suis pas triste. Je suis le phare. Je veille, non par devoir, mais par amour, pour la mer, pour la lumière, pour le calme après la tempête.

Commentaires

  1. tu es un poète … tu sais poser entre les mots la beauté de ton regard

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Dominique