Alors, on dit : crêpe ou galette ?
🥞 Histoire d’un mot, d’un plat et d’une identité bretonne
🌾 Introduction
Il y a bien longtemps déjà que je me demande comment on en est venu à parler de galette lorsque l’on mange des crêpes. L’usage est si courant qu’on n’y prête plus attention, et pourtant, il cache une véritable curiosité linguistique et culturelle. Le restaurateur qui confectionne ces délicieuses préparations est un crêpier, non un “galettier”, et l’établissement où l’on s’attable porte fièrement le nom de crêperie, jamais de “galetterie”. Pourquoi donc cette distinction ?
En bon Breton du Léon, attaché à mes racines et à mes traditions, j’ai voulu comprendre ce glissement de sens, explorer l’origine de ces deux termes qui font partie intégrante de notre patrimoine culinaire. Derrière ces mots se cache bien plus qu’une simple question de vocabulaire : c’est toute une histoire de terroir, de savoir-faire, de langue et d’identité qui se révèle. C’est cette quête de sens, à la croisée de la gourmandise et de la culture bretonne, que je vous propose de partager ici.
En Bretagne, le débat entre crêpe et galette dépasse largement la cuisine. Ces deux mots racontent une histoire de langues, de transmission et de culture populaire. Si tous les Bretons en mangent, rares sont ceux qui les nomment de la même façon. Pourquoi ? Parce qu’entre le breton, le gallo et le français, les mots — comme les recettes — ont voyagé.
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| Une crêpe complète, s’il vous plaît ! Ur grampouezh glok, mar plij ! |
1️⃣ Une racine commune : la crêpe, du latin crispa
Le mot crêpe vient du latin crispa, « frisée, ondulée ». Au Moyen Âge, il désigne déjà une pâte fine et dorée, cuite sur pierre. Dans les campagnes bretonnes, le terme breton krampouezhenn (de kramp = pli) exprime la même idée : une pâte qui frise à la cuisson.
🗣️ En breton, on ne distingue pas crêpe et galette :krampouezhenn gwinizh du = crêpe de blé noir
Le mot crêpe est donc le plus ancien, le plus universel, et le plus neutre.
2️⃣ L’arrivée du mot “galette” : une influence gallèse
À l’est de la Bretagne, dans les pays gallos (où l’on parle une langue romane proche du français), le mot galettedésignait déjà toute chose ronde et plate cuite sur plaque.
Issu du vieux français galet (petit caillou), il s’est répandu avec l’administration et l’école francophones.
👉 Le terme galette est donc romano-français, pas breton.
Mais il va connaître une ascension fulgurante au XXᵉ siècle.
3️⃣ Après-guerre : le tourisme invente la distinction
Dans les années 1950-60, la Bretagne s’ouvre au tourisme. Les crêperies fleurissent et les cartes doivent être claires pour les visiteurs.
C’est là qu’apparaît la fameuse distinction :
Les livres de recettes, les guides touristiques et les concours culinaires (comme ceux de l’école des maîtres crêpiers) adoptent cette règle.
La “galette complète” (œuf-jambon-fromage) devient un classique, presque une marque déposée de la Bretagne moderne.
Les premières cartes postales touristiques des années 1970 parlent de “galettes bretonnes”, jamais de “crêpes de blé noir”.
4️⃣ Un vocabulaire standardisé… mais pas traditionnel
Cette opposition n’est pas née des campagnes, mais des besoins linguistiques et commerciaux.
Dans les foyers bretons, on a longtemps continué à dire “crêpe de blé noir”.
Et en breton, la distinction n’existe toujours pas.
| Contexte | Mot employé | Sens |
|---|---|---|
| Breton | krampouezhenn | Toutes les crêpes |
| Français bretonnant | Crêpe de blé noir | Tradition familiale |
| Français standard / tourisme | Galette | Salé au sarrasin |
En somme, galette est une traduction pratique, pas une invention du terroir.
5️⃣ Aujourd’hui : un duo inséparable
De Quimper à Rennes, on commande désormais “une galette complète” et “une crêpe beurre-sucre”.
Les deux mots ont trouvé leur place :
- Crêpe conserve la chaleur du foyer et la tradition,
- Galette symbolise la gastronomie régionale codifiée et exportée.
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| Le saviez-vous ? Le sarrasin n’est pas une céréale mais une plante à fleurs ! (Photo : gerbeaud.com) |
🧭 Conclusion
Entre crêpe et galette, il n’y a pas de rivalité — seulement deux héritages linguistiques qui racontent la même histoire.
Celle d’un peuple entre deux langues, entre mer et terre, entre tradition et ouverture.
Car au fond, qu’elle soit ronde, beurrée, sucrée ou salée, la crêpe (ou la galette) reste le symbole du partage breton.
📚 Sources & Références
- Les Champs Libres – “Petites histoires de la gastronomie de Bretagne : crêpes et galettes”
- OpenEdition Books – La crêpe, la galette, la saucisse (et le touriste)
- Crêpes Magiques – “La véritable histoire de la crêpe et de la galette bretonne”
- Région Bretagne – “Crêpes et galettes : découvrez tous leurs secrets”



Commentaires
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Dominique