An Englishman in Caen

Cela fait une éternité que bon nombre de ses fans ont été piqués par le dard britannique de la nouvelle vague. Ce poison, doux et persistant, portait le nom de The Police, et son venin fut longtemps celui de la nostalgie. Ce soir pourtant, à Caen, le temps d’une escale, Sting est venu rappeler que certaines piqûres ne guérissent jamais — elles se transforment simplement en lumière.

Sur scène, il n’offre pas seulement un concert : il délivre une offrande. Une invitation à se souvenir, à ressentir encore. Les tempes grisonnantes battent la mesure du passé, mais les regards, eux, brillent d’un éclat neuf. Car le chanteur ne joue pas pour une génération figée dans le souvenir : il parle à tous, à ceux qui l’ont connu, à ceux qui le découvrent, à ceux qui cherchent dans ses accords une forme d’espérance.
Et derrière l’icône, derrière la légende, demeure un homme : un artisan du son, un poète des marges, un humaniste inquiet et tendre, qui sait que la beauté n’a de sens que si elle sert une cause.


Gordon Sumner est né dans les faubourgs de Wallsend, un village battu par les vents du nord de l’Angleterre, à quelques encablures de la frontière écossaise. Là-bas, le ciel semble plus bas, les visages plus fermés, mais les rêves, eux, montent haut. Fils d’un laitier et d’une coiffeuse, il apprend très tôt que la vie ne s’offre pas, elle se conquiert. Dans ces rues de briques noircies par le charbon, il forge sa conscience. Les inégalités ne sont pas pour lui un concept abstrait : elles ont des noms, des visages, des silences.
Cette lucidité précoce deviendra sa boussole. Dès ses débuts, Sting s’empare de sa notoriété comme d’une arme douce : la guitare pour scander, la voix pour éveiller.

Avec son épouse Trudie Styler et le chef Raoni, il fonde la Rainforest Foundation. Leur combat : préserver l’Amazonie et les peuples qui la peuplent, sauver les arbres comme on sauve des mémoires. Dans un monde pressé d’oublier, il rappelle que l’art peut être un acte de résistance.
En 1993, il écrit “If I Ever Lose My Faith in You”. Sous son apparente sérénité se cache une désillusion lucide : celle d’un homme qui doute des institutions, mais pas de l’humanité. Un chant de foi sans religion, un cri d’amour lancé à la planète blessée.


Alors, sur la scène normande, Sting a jeté une bouteille à la mer. Et, miracle discret, elle ne s’est pas perdue. Elle a trouvé des centaines de mains tendues, des cœurs en attente d’écho.
Le public, comme une marée docile, s’est avancé vers lui. Ensemble, ils ont brisé l’isolement, celui des artistes comme celui des hommes.
Car, malgré les années, malgré les rides et les refrains usés, Sting conserve cette foi têtue en l’autre, en l’humain — cette flamme qui brûle sans consumer. C’est elle qui le pousse à marcher encore sur les dunes d’un désert rose, à chercher dans chaque note un morceau d’espérance.

Et quand Roxanne surgit, le temps s’efface. La chanson, usée par les décennies, se fait neuve, vibrante, charnelle. Les corps se lèvent, les voix s’élèvent : c’est un rituel, presque une prière. Puis le silence retombe, et Sting délaisse sa basse pour une guitare acoustique.
La lumière devient tamisée, l’air plus dense. Il rend hommage à Ben Linder, cet ingénieur américain assassiné au Nicaragua par les Contras, un groupe armé soutenu par les États-Unis. Un nom parmi tant d’autres, mais un nom qu’il fait revivre, qu’il sauve de l’oubli.

Dans ce moment suspendu, la musique cesse d’être divertissement pour redevenir ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : une parole juste, une main tendue, un souffle d’âme.

Et quand la dernière note s’éteint, il reste dans la salle un silence plein — celui des instants qui comptent. Sting salue, humble, presque timide. Le public se lève. On sait qu’on vient d’assister à plus qu’un concert : à une communion.
Une onde de gratitude, un murmure d’humanité.


Message in a Bottle (The Police), 
Englishman in New York, 
If You Love Somebody Set Them Free, 
Every Little Thing She Does Is Magic (The Police), 
If I Ever Lose My Faith in You, 
If It's Love, 
For Her Love, 
Rushing Water, 
Seven Days, 
Brand New Day, 
Fields of Gold, 
Shape of My Heart, 
Wrapped Around Your Finger (The Police), 
Walking on the Moon (The Police), 
So Lonely (The Police), 
Desert Rose, 
King of Pain (The Police), 
Every Breath You Take (The Police), 

Rappel : 
Roxanne (The Police), 
Fragile

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