Danemark de Thisted à Ballum

29 et 30 juillet 2021

Nous quittons Thisted au petit matin, encore enveloppée de cette lumière pâle si caractéristique du Danemark. La route qui mène au Parc National de Thy nous entraîne progressivement vers une région plus sauvage, plus brute, où la mer du Nord impose sa présence même quand on ne la voit pas encore : un vent soutenu, l’odeur salée qui flotte déjà dans l’air, et ces étendues de dunes qui annoncent la côte. Le parc, immense, se déploie sur des kilomètres le long de plages, de landes et de forêts de conifères tordus par les bourrasques.

Vangså

Notre première escale est Vangså. À mesure que nous approchons, le paysage nous rappelle étrangement notre Bretagne : même alternance de dunes blondes, de ciel bas, de végétation rase battue par les éléments. Cette familiarité nous touche. Nous nous garons et partons marcher le long du rivage. Le vent souffle assez fort pour nous obliger à resserrer nos vêtements, mais la lumière changeante, le bruit hypnotique des vagues et l’immensité du sable rendent la promenade presque magique. Picasso, stimulé par les odeurs et le vent qui joue dans son pelage, gambade joyeusement. Nous passons ainsi une matinée revigorante, portés par la beauté simple de Dame nature.

Pour poursuivre notre exploration, nous décidons de longer la côte en empruntant une petite route qui serpente entre les dunes. C’est une idée merveilleuse : chaque virage offre un nouveau panorama, tantôt une plage déserte, tantôt un lac intérieur ou une étendue de bruyère mauve. Nous faisons halte à proximité d’Agger pour déjeuner. Le calme est total, seulement troublé par le vent et, de temps à autre, par le cri d’un oiseau. Ce moment simple, à l’abri d’une dune, nous semble précieux.

Après le repas, nous reprenons la route qui mène à Jyllands Akvariet. Picasso reçoit là-bas sa deuxième leçon de conduite, une petite tradition de voyage qui le rend particulièrement fier, assis et regard sérieux, prêt à impressionner la galerie. Puis nous montons sur le ferry en direction de Thyborøn. La traversée, courte mais charmante, nous donne un autre point de vue sur cette région façonnée par la mer. De là, nous poursuivons jusqu’à Trans, où nous imaginons passer une nuit… mais l’endroit nous plaira tant que nous prolongerons finalement notre séjour.

Eglise de Trans et Jacqueline !

Nous posons le camping-car à proximité de l’église de Trans, impressionnante sentinelle blanche dressée en haut de la falaise, face à l’immensité de la mer du Nord. Le vent souffle déjà fort, mais la vue est si grandiose que nous décidons d’en profiter immédiatement. Avant même de goûter, nous partons  pour une balade jusqu’au phare de Bovbjerg. Nous avons pris un poncho, car le ciel, d’un gris dense, laisse présager une averse.

Bovbjerg

Effectivement, à mi-chemin, la pluie s’invite sans prévenir. Pas une petite bruine : des trombes d’eau, lourdes et inattendues, accompagnées d’un grondement sourd de l’orage qui semble rouler au-dessus de la mer. Nous nous retrouvons à improviser un abri avec le poncho, transformé en tente de fortune. Picasso, d’abord intrigué, se montre vite inquiet du bruit du tonnerre et vient se coller contre nous. L’instant a quelque chose d’absurde et de chaleureux à la fois : des âmes serrées sous un morceau de plastique, riant malgré l’inconfort, attendant que le ciel se calme. Quand enfin la pluie cesse, l’air est chargé d’odeurs de terre mouillée et de sel. Trempés, mais motivés, nous poursuivons notre marche jusqu’au phare, silhouette rouge se détachant fièrement au sommet de la falaise.

La soirée se déroule paisiblement, bercée par le vent qui souffle encore mais sans menace. Pourtant, au moment de nous coucher, nous percevons que les rafales gagnent en force. À trois heures du matin, secoués comme dans un bateau pris par le roulis, nous devons nous résoudre à changer d’emplacement. La manœuvre nocturne, sous un vent puissant, demande de la prudence. Jacqueline s’en sort admirablement et nous descendons jusqu’au village, où les maisons offrent un peu plus d’abri. Nous terminons la nuit sur un petit parking, que nous découvrirons au lever du jour être… non autorisé. Les voisins danois, bienveillants et probablement habitués aux caprices du vent local, comprennent d’un simple regard notre mésaventure. Aucun reproche, juste une forme de solidarité silencieuse.

Vejlby

Plus tard, après avoir trouvé un emplacement plus adapté à quelques minutes de là, nous préparons un bon petit déjeuner qui nous redonne des forces. Puis nous partons explorer les dunes de Ferring. Le sentier, sinueux et vallonné, nous mène jusqu’au village de Vejlby. Sans même nous en rendre compte, nous réalisons le tour complet du Ferring Sø, ce lac calme niché entre les dunes. L’atmosphère est paisible, presque méditative : le clapotis de l’eau, les couleurs douces de la lande, et la sensation de marcher dans un décor qui semble inchangé depuis des siècles.

L’après-midi est consacré au repos bien mérité, bercés par le vent devenu plus raisonnable, avant de repartir pour une nouvelle balade vers le phare de Bovbjerg, devenu en seulement deux jours un repère familier, un phare tout simple, mais désormais associé à la pluie, aux éclats de rire, aux grandes rafales, et à l’incroyable beauté de ce coin de Danemark.

Comme le veut la tradition en ce 30 juillet, nous célébrons le "husets frues fødselsdag", et rien que l’écrire en danois donne immédiatement un certain prestige à l’événement ! L’expression claque presque comme un titre royal… à condition, bien sûr, de ne pas avoir à la prononcer à voix haute. Heureusement pour nous, l’élégance de l’écrit suffit amplement : la fête peut commencer sans que personne ne se torde la langue !

husets frues fødselsdag

31 juillet 2021

Ce matin, nous prenons la route en pensant simplement traverser une portion du Danemark, mais très vite le paysage nous rappelle que rien n’est jamais "simple" le long de cette côte, d'autant que nous avons décidé de ne jamais nous éloigner d'un jet de pierre de la mer. La mer du Nord nous accompagne comme une vieille amie : parfois visible, parfois seulement pressentie à travers une odeur de sel ou un souffle d’air plus humide. Elle est là, fidèle, presque protectrice. À chaque détour, on a l’impression qu’elle nous surveille, qu’elle veille sur notre progression à travers ces terres rudes et magnifiques.

Phare de Lyngvig

Notre première halte est le phare de Lyngvig, né d’un drame. En 1903, le naufrage du Dakota qui réalise la liaison de Bremerhavn à la Norvège coûta la vie à vingt-quatre personnes. Trois ans plus tard, on construisit ce phare pour éviter que d’autres vies se perdent dans les eaux teintées de sable. Nous aimons ces lieux où l’histoire se mêle à la lumière. Le phare de Lyngvig se dresse sur sa dune comme une sentinelle fragile, un trait blanc posé entre ciel et mer. Monter ses marches, c’est comme gravir un chemin vers un autre monde : celui du vent, des éléments à nu, de la mer qui respire en dessous. Là-haut, le souffle du vent nous traverse au point qu’on ne sait plus très bien où commence notre propre respiration. Le paysage semble infini ; il enveloppe, apaise, remet l’âme à niveau.

Nous poursuivons vers le Parc National de Vesterhavet, établi en 2010 pour protéger cette portion de littoral danois, l’une des plus sauvages et des plus exposées du pays. Ce parc n’est pas seulement une réserve naturelle : c’est un espace où l’on mesure la puissance de ce qui nous dépasse. Les dunes, constamment remodelées par les vents, rappellent que rien ici n’est figé. Le sable bouge, la lumière change, le ciel se réinvente d’heure en heure. Marcher dans cet espace donne l’impression d’être un simple visiteur sur une terre qui n’appartient qu’à elle-même.

Vache Galloway

Et puis, au détour d’un chemin, apparaissent les Galloways. Elles ne semblent pas marcher : elles avancent avec une sérénité presque méditative. Sans cornes, massives, leurs oreilles couvertes de longs poils semblent recueillir le murmure du vent. Leur présence calme les pensées. On se surprend à ralentir, à respirer plus profondément, comme si leur sagesse silencieuse nous gagnait. Elles sont là depuis des années, participant à l’entretien naturel du parc, gardiennes tranquilles d’un équilibre fragile.

Phare de Blåvandshuk

Enfin, la route nous mène jusqu’au phare de Blåvandshuk, extrémité occidentale du Danemark. Construit en 1900, il veille sur une zone maritime réputée dangereuse, où les fonds peu profonds piègent encore parfois les navires imprudents. Ce phare, massif, presque austère, s’oppose à la mer en une sorte de tête-à-tête millénaire. Le vent y est si fort qu’il semble vouloir vous traverser. En regardant le large, on ressent une émotion étrange, mélange de solitude et de grandeur. C’est le genre de lieu qui ramène chacun à son essentiel.

Depuis le haut du phare de Blåvandshuk

Nous finissons la journée à Esbjerg, enveloppés par le bruit des ferries et l’odeur du port, avant de gagner Tange pour la nuit. Pourtant, malgré l’agitation de la ville, ce sont les images de la journée qui persistent : le blanc immuable des phares, l’or mouvant des dunes, les Galloways qui ruminent le silence, et la mer… toujours la mer. Elle nous a suivis, guidés, peut-être même transformés un peu.

01 et 02 août 2021

Ribe est une ville où le temps semble marcher au ralenti, comme s’il hésitait à déranger la douceur des rues pavées. La ville est souvent présentée comme la plus vieille cité du Danemark, fondée autour du VIIIᵉ siècle. En se promenant entre ses maisons à colombages et ses ruelles sinueuses, nous admettons rapidement que cette ancienneté n’est pas un titre, mais une présence : celle de l’histoire, partout.

Le cœur de Ribe bat depuis des siècles autour de sa majestueuse cathédrale Notre-Dame, dont la construction a débuté au XIIᵉ siècle. Autour de la cathédrale, Ribe se dévoile comme un livre ancien. Les rues semblent tracées à la main. Les maisons médiévales semblent parfois tenir debout par magie.  C’est une ville qui a vieilli avec grâce, qui assume ses rides et en fait sa beauté. La rivière Ribe Å ajoute une note de tranquillité. 

Nous déjeunons au Jacob A. Riis, face à la cathédrale. Autour de nous, les maisons à colombages se penchent légèrement comme pour mieux écouter le murmure de la place, tandis que la cathédrale impose sa présence silencieuse. L’ambiance est paisible, presque suspendue, et notre repas se transforme en un véritable moment de contemplation.

Après cette pause délicieuse au rythme lent de Ribe, nous reprenons la route en direction de l’île de Mandø. Un confetti posé dans la mer du Nord. Une destination à part, presque secrète, que l’on ne peut rejoindre qu’en empruntant la route submersible qui disparaît au rythme des marées. Rien qu’en y pensant, le voyage prend déjà des airs d’aventure. Nous quittons donc les pavés de la vieille ville pour gagner, lentement, ce bout de terre isolé au cœur de la mer de Wadden.

Nous prenons place dans le seul camping de l’île, un petit havre simple et tranquille qui semble presque perdu au milieu des terres salées. La directrice nous accueille avec ce naturel chaleureux propre aux lieux isolés : ici, tout le monde se connaît, tout le monde s’entraide. Elle est non seulement responsable du camping, mais aussi patronne du commerce unique de Mandø, véritable cœur logistique de l’île. Elle nous invite à nous installer où bon nous semble, confiante, et nous donne rendez-vous seulement au moment de notre départ. Tout est simplicité, tout est confiance.

Une fois installés, nous partons pour faire un premier "tour du propriétaire". Mandø se laisse découvrir avec une douceur inattendue. L’île est entièrement bordée de hauts talus, érigés pour la protéger des grandes marées et des humeurs capricieuses de la mer du Wadden. Ces digues forment une sorte d’écrin autour de l’île, un rempart de terre où l’on peut marcher en surplomb, le regard glissant tour à tour vers l’intérieur paisible et vers l’immensité plate du littoral.

Ici, les moutons sont en totale liberté

Le tour complet de Mandø s’étire sur une dizaine de kilomètres. Une boucle tranquille où le vent, les moutons, les oiseaux et l’immense ciel ouvert composent un décor presque irréel. Par moments, nous avons la sensation que l’île nous appartient, cette impression d'être chez nous. Nous marchons seuls au bord du monde, avec pour seule compagnie le bruit du vent et des rouleaux qui s'étendent sur le sable. Mandø est une île minuscule, certes, mais elle condense à elle seule une sensation rare de liberté : des étendues silencieuses et un espace sans limites. Ici, tout semble aller au rythme lent des marées, des chemins sablonneux et de cet horizon qui ne cesse de reculer au fur et à mesure qu’on avance.

La visite du village parachève cette impression d’étrangeté douce. Ses maisons basses, ses toits discrets, ses jardins battus par le vent composent un tableau simple, dépouillé, presque intemporel. En se promenant, nous avons le sentiment de retrouver l’âme de nos anciens villages de pêcheurs : cette modestie élégante, née de la proximité de la mer et d’un rapport humble à la nature. Et pour cause : c’est bien de cela qu’il s’agit. A Mandø tout est y respire la simplicité et l'authenticité. Nous avons découvert un lieu préservé, un microcosme qui raconte la vie rude mais belle des hommes et des femmes qui ont toujours vécu face au large, entre solitude et mer infinie.

03 août 2021

Nous quittons Mandø à regret, un peu à reculons. Si seulement les vacances pouvaient durer éternellement… Nous mettons le cap sur Rømø, une île située à un jet de pierre de ce petit confetti qu’est Mandø. Pour y accéder, rien de plus simple : il suffit d’emprunter la route 175, une digue officiellement non submersible, qui relie l’île au continent.

Dans un premier temps, nous roulons sans véritable destination. L’île s’offre à nous, avec ses paysages vastes et changeants ; nous nous laissons porter par la découverte, par l’envie de flâner. Nous savons qu’il est possible d’accéder en fourgon directement à une plage, alors nous partons à la recherche de l’entrée. En réalité, l’accès était évident… mais nous avons tout de même réussi à le manquer plusieurs fois, trop absorbés par la beauté du décor pour garder les yeux sur la route !

Nous arrivons enfin à Lakolk Strand : une immense plage de sable blanc, si vaste qu’elle semble ne jamais finir. Notre premier arrêt, pourtant, sera marqué du sceau de la mésaventure. Nous nous stationnons près d’un food truck pour prendre quelques photos. Le sable est meuble… très meuble… et patatrac, impossible de repartir ! Le pilote du jour baisse aussitôt la tête sous les remarques moqueuses, mais bienveillantes, du copilote de ce même jour. Il y a fort à parier que cet épisode lui sera rappelé pendant de nombreuses années !

Le pilote du jour sort les plaques de désensablement en sifflotant un air improvisé et un tantinet boudeur, car un tantinet vexé, lorsqu’un imposant 4x4 s’arrête à côté de nous. Son conducteur, sourire malicieux aux lèvres, nous explique que sa “mission” consiste à secourir les novices de la conduite sur sable. Avec simplicité et bonne humeur, il nous donne quelques conseils pratiques : comment lire la texture du sable, repérer les zones roulantes, et adopter la bonne allure pour éviter de s’enliser. Le soleil est de retour dans la tête du pilote du jour !

La plage est noire de monde, animée, presque festive. Une seule règle s’impose à tous : il est strictement interdit de stationner sur la plage la nuit. Rien d’illogique, surtout compte tenu de la fréquentation. Nous passons une bonne partie de l’après-midi à nous promener, à profiter du paysage, puis à savourer un café en observant le vent soulever les grains de sable. Pas de baignade : la mer arbore cette teinte sombre typique des eaux froides, et les vents, soutenus, viennent confirmer qu’elle n’a rien d’accueillant aujourd’hui.

Comme il est impossible de passer la nuit sur la plage, et que le camping attenant à Lakolk Strand déborde littéralement de monde, nous reprenons la route vers d’autres horizons. Nous trouvons finalement un charmant camping à Ballum, dans la commune de Bredebro, sur le continent. L’endroit est paisible, bien équipé, et dispose même d’un espace dédié aux chiens. Autant dire que Picasso est comblé : il peut enfin se défouler en liberté, sans laisse, pour son plus grand bonheur… et le nôtre.

Récapitulatif des nuitées :

29 juillet 2021 : Trans, Lemvig - 3480 kilomètres
30 juillet 2021 : Trans, Lemvig - 3489 kilomètres
31 juillet 2021 : Tange, Esbjerg - 3689 kilomètres
01 août 2021 : Mandø - 3731 kilomètres
02 août 2021 : Mandø - 3731 kilomètres
03 août 2021 : Ballum, Bredebro - 3837 kilomètres



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