Pologne, de Plouguerneau à Wadowice

31 juillet 2019

C’est parti ! Cap à l’Est… et même à l’Est de l’Est ! Nous prenons la route pour un périple en Pologne qui va durer presque trois semaines. Trois semaines de déconnexion totale — enfin, c’est l’objectif. L’idée est de se reconnecter, mais à une autre nature : celle des grandes forêts, des vastes étendues et des montagnes silencieuses. 

Pour l’instant, ce sont surtout les kilomètres qui défilent. Quand on habite au « bout du monde », on considère que les vacances commencent réellement une fois les 250 premiers kilomètres avalés. En l’occurrence : après avoir passé Rennes. À partir de là, le sentiment de partir loin commence enfin à nous gagner.

Un dernier regard vers l'ouest...

"Nous partons loin, mais surtout ailleurs."

Nous roulons à tour de rôle, chacun prenant son relais, jusqu’à notre première étape : l’aire d’autoroute d’Ussy-sur-Marne. Rien de très glamour, mais lorsque la fatigue nous gagne, l’endroit se transforme en refuge acceptable. L’avantage d’être épuisés, c’est que nous n’entendons ni la circulation incessante, ni les bruits des camions. Le monde continue de tourner autour… mais pour nous, le voyage peut enfin commencer. 

"Rester concentrés jusqu'au moment où le paysage change, pour enfin sentir que l'on s’éloigne."

01 août 2019

Nous franchissons la frontière allemande à hauteur de Sarrebruck et poursuivons notre route en direction du centre du pays. Le trajet nous mène successivement par Mayence et Francfort-sur-le-Main, deux villes animées et riches d’histoire. En milieu d’après-midi, nous atteignons Alsfeld, charmante petite ville située au bord de la rivière Schwalm.

Alsfeld

Alsfeld dévoile immédiatement son caractère pittoresque : maisons à colombages, ruelles pavées, atmosphère sereine… un véritable décor de carte postale. Après une courte découverte du centre historique, nous choisissons de nous éloigner un peu pour profiter pleinement du calme de la campagne environnante. Nous entamons alors une promenade bucolique au cœur de la nature, rythmée par le chant des oiseaux et le murmure discret de la rivière. Un moment simple et paisible, parfaitement ressourçant.

Pic épeiche

Premier moment où l’on se sent vraiment en vacances : "lorsque le bruit de l’autoroute disparaît derrière le chant des oiseaux."

02 août 2019

Nous reprenons la route tôt le matin, encore enveloppés par la fraîcheur de l’aube. À mesure que nous avalons les kilomètres, le paysage change : nous passons près d’Iéna, puis de Dresde, dont les silhouettes modernes contrastent avec les collines verdoyantes en arrière-plan. Vers 17 h., nous franchissons la frontière polonaise à Jędrzychowice. La transition est subtile mais perceptible : les panneaux changent de couleur, de langue, et les prairies semblent soudain s’étirer plus longuement. Dans l’air flotte une odeur d’herbe fraîche, réchauffée par le soleil. Une sensation excitante d’inconnu nous traverse, nous sommes ailleurs.

Notre première escale se déroule sur l’immense parking d’un hypermarché étrangement affublé d’un nom très français. C'est la mondialisation !. L’endroit bourdonne de vie : claquements de portières, conversations en polonais, caddies grinçants sur le bitume. À l’intérieur, une vague de fraîcheur nous accueille, accompagnée du parfum du pain encore chaud et d’une multitude de produits inconnus aux étiquettes souvent imprononçables. Nous faisons quelques petites courses, remplissons le réservoir de gasoil et échangeons nos euros contre des złoty. Entre nos doigts, une autre monnaie, une autre réalité.

Grues cendrés

Nous quittons la modernité du supermarché pour nous enfoncer dans la campagne polonaise. Les routes deviennent plus étroites et les paysages plus sauvages. L’air sent le pin, la mousse et la terre humide. En fin de journée, nous trouvons un coin isolé en lisière de forêt, près de Leśna. Une douce lumière dorée filtre entre les arbres, faisant danser les ombres sur le sol. Autour de nous, seuls les craquements des branches, le bruissement du vent dans les feuilles et les appels lointains des oiseaux brisent le silence. L’air est frais, un peu vif, mais incroyablement pur. Notre première soirée en Pologne se termine dans une atmosphère simple et apaisante, comme un secret partagé avec la forêt.

03 et 04 août 2019

Arrivés tard hier soir, nous savourons le luxe d’une matinée tranquille. Après un réveil encore engourdi par la route, nous partons pour une longue promenade en forêt. L’air frais et humide nous enveloppe ; seuls le craquement des branches et le chant des oiseaux rompent le silence. Chaque pas nous rappelle la chance que nous avons d’être ici, loin du bruit et des habitudes du quotidien. 

Jelenia Góra

Au fil de la journée, nous rejoignons Jelenia Góra, au cœur de la Basse-Silésie. Ses bâtiments colorés, son marché animé et la douceur de son ambiance nous charment immédiatement. La ville semble suspendue entre passé et modernité, avec en arrière-plan les montagnes des monts des Géants qui se situent en République Tchèque. Le regard nous mène régulièrement aux confins de la frontière tchèque, conscients qu’elle nous accompagnera tout au long des prochains jours, comme un fil rouge entre deux pays aux paysages cousins mais aux atmosphères distinctes.

Corvée de charbon

Après cette découverte, nous reprenons la route et passons la nuit à Jakuszyce, sur le site de Szklarska Poręba, une petite station nichée dans la forêt. L’endroit est paisible, propice au repos, comme si le monde s’arrêtait un instant pour nous laisser reprendre notre souffle avant la suite du voyage.

Ce matin nous chaussons nos chaussures de randonnée afin de nous rendre à la conquête du Wysoka Kopa. C'est un sommet situé dans les monts Izera (Góry Izerskie), non loin de la frontière tchèque. Du haut de ses 1126 mètres, il est le point culminant du versant polonais des monts Izera. Le sommet se trouve dans la réserve naturelle de Karkonosze. La vraie cime est située dans une zone écologiquement protégée, ce qui fait que l’accès direct au point exact peut être limité pour des raisons de conservation. Toutefois, les sentiers balisés permettent de passer tout près du sommet, notamment via le Główny Szlak Sudecki, le GR des Sudètes. Nous avons eu la chance de pouvoir y accéder.

La randonnée jusqu’à Wysoka Kopa se révèle douce et accessible. À mesure que nous avançons, le paysage s’ouvre sur de vastes plateaux forestiers et des zones de tourbières où la végétation prend des teintes presque nordiques. Sur le sentier, le hasard nous offre quelques apparitions furtives : des chevreuils qui s’éloignent silencieusement entre les troncs, comme des ombres brunes dans la lumière du matin.

Partout autour de nous, les myrtilliers abondent. Nous ne résistons pas à la tentation d'en cueillir quelques-unes, sucrées et fraîches, directement sur les buissons. Les Polonais que nous croisons sont venus pour la même raison : se remplir les mains de myrtilles, comme nous, en Bretagne, nous allons sur l’estran récolter des coques lors des grandes marées. Le soleil nous accompagne généreusement et l’air est parfaitement calme : pas un souffle de vent, juste la douceur de l’été en montagne. Tout ici semble inviter à ralentir, respirer et profiter du moment.

Au détour d’un sentier, notre promenade est brusquement interrompue par des cancanements frénétiques. Une cane, manifestement plus proche de l’hystérie que du paisible coin-coin, tourne en rond en bord de berge en lançant des appels désespérés. À quelques mètres de là, ses canetons, affolés, pataugent en désordre, incapables de rejoindre leur mère à cause de l'élévation des espaces de baignade et du courant.

Sans hésiter, nous échangeons un regard : impossible de les laisser dans cette situation. Ni une ni deux, nous nous jetons à l’eau, sans chaussures et sans dignité, pour guider les petits fugueurs vers la délivrance. Après quelques manœuvres et beaucoup d’éclaboussures, la petite famille est enfin réunie. La cane, redevenue maîtresse d’elle-même, s’éloigne avec sa progéniture dans un concert de cancanements… que nous choisissons d’interpréter comme un « merci » bien mérité.

05 août 2019

L'aventure continue par la découverte de Świdnica. En premier lieu, l’église de la Paix de Schweidnitz. Il s'agit de l’une des trois grandes églises luthériennes construites en Silésie après la signature des traités de Westphalie en 1648. Ils mirent fin à la terrible guerre de Trente Ans et rétablirent la paix au sein du Saint-Empire romain germanique. Élevée dans un contexte de tensions religieuses, elle est le fruit d’un compromis : les autorités catholiques n’autorisèrent sa construction qu’à condition qu’elle soit réalisée en un temps limité, hors des fortifications de la ville, et uniquement avec des matériaux « non nobles » tels que le bois, l’argile et la paille.

Eglise de la Paix de Schweidnitz

Malgré ces contraintes strictes, l’édifice qui en résulta est une véritable prouesse architecturale. Son intérieur, magnifiquement décoré de fresques baroques, de tribunes sculptées et d’un orgue monumental, témoigne de la détermination et de la ferveur de la communauté luthérienne de l’époque. Aujourd’hui encore, l’église de la Paix de Schweidnitz impressionne par sa grandeur et demeure un symbole saisissant de tolérance religieuse et de résilience. Elle est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Dans un pays profondément marqué par la tradition catholique, la figure du pape Jean-Paul II occupe une place centrale dans l’espace public. Son image est omniprésente : statues, plaques commémoratives, portraits dans les édifices religieux ou encore dans les lieux de vie quotidienne. Świdnica ne fait pas exception à cette règle. À quelques pas de l’imposante cathédrale Saint-Stanislas et Saint-Venceslas, se dresse une statue du souverain pontife sculptée par Jarosław Wójcik. L’œuvre représente Jean-Paul II non pas dans la puissance de son pontificat, mais dans sa fragilité d’homme malade, marqué par les années et la souffrance. Cette représentation, pleine d’humanité, rappelle l’attachement profond du pays à celui qui fut le premier pape polonais, mais aussi le respect pour sa lutte contre la maladie, qu’il affronta avec une dignité admirée dans le monde entier.

À l’issue de ce moment de recueillement, nous reprenons la route en direction d’Otmuchów. Notre destination est plus précisément le lac Jezioro Otmuchowskie, vaste étendue d’eau aux allures paisibles, entourée de verdure et de sentiers propices à la détente. Nous y installerons notre bivouac pour la nuit, au bord de l’eau, dans une atmosphère sereine où le calme du lac contraste avec l’intensité du lieu que nous venons de quitter.

La lumière déclinante se dépose sur la surface du lac, y traçant des reflets dorés qui ondulent lentement au rythme du clapotis de l’eau. Tout annonce une soirée paisible, bercée par le silence et la douceur du paysage. Au loin, les silhouettes bleutées des massifs montagneux de la Tchéquie se dessinent à l’horizon, comme une frontière naturelle qui ajoute encore à la sérénité du moment.

06 août 2019

Wadowice… Une petite ville de Pologne, et pourtant, on a le sentiment qu’elle n’existe que pour célébrer un seul homme : Karol Józef Wojtyła, plus connu sous le nom de Jean-Paul II. Chaque coin de rue semble imprégné de sa présence. Les façades racontent son enfance, les plaques commémoratives retracent ses pas, et même les vitrines des commerces semblent murmurer son nom. Ici, tout respire le futur pape : les murs, les pierres, les places, les habitants.

Dans une pâtisserie, nous découvrons une curiosité locale : le gâteau que Karol aurait offert à ses camarades pour fêter la réussite de son baccalauréat. Bien sûr, nous ne goûtons pas l'original — mais qu’importe, l’intention suffit. Nous savourons chaque bouchée en observant les photos anciennes qui témoignent d’une autre époque, lorsque le pape n’était encore qu’un jeune homme plein d’avenir.

Pope Cake

Les visites s’enchaînent — basilique, musée, pâtisseries — et au fil des pas, Wadowice continue de se dévoiler. C’est d’ailleurs en cherchant notre chemin vers l’église Saint Pierre – Apôtre que nous faisons une rencontre inattendue : deux jeunes Polonais nous apprennent à utiliser l’application Maps sur notre smartphone ! Un détail trivial, mais qui crée un moment de complicité universelle, une petite passerelle entre voyageurs.

Basilique Mineure de la Présentation de la Vierge Marie

Pour comprendre ce lieu, il faut se replonger dans l’histoire.
"Habemus Papam" — ces mots prononcés par le cardinal Pericle Felici le 16 octobre 1978 résonnèrent dans le monde entier. Ce jour-là, l’Église catholique bascula dans une nouvelle ère. Pour la première fois en 455 ans, un pape n’était pas italien, mais polonais, "d’un pays lointain", comme il le dira lui-même dans son premier discours. Peu après son élection, l’idée naît à Wadowice : construire une nouvelle église en hommage à cet événement historique. Lors de sa première visite dans sa ville natale en 1979, le site est choisi : la future église s’élèvera dans la rue Zegadłowicza, aujourd’hui rebaptisée Aleja Matki Bożej Fatimskiej.

L’édifice que nous découvrons est à l’image du pape : sobre, lumineux, humble. Aucun faste ostentatoire, mais une élégance discrète qui inspire le calme et la réflexion. Autour, s’étend un espace vivant, ouvert à tous : des bâtiments appartenant à l’église, un parvis animé… et même des toilettes publiques. Rien d’extraordinaire en apparence, et pourtant, c’est là que nous vivons un moment inoubliable.

Eglise Saint Pierre – Apôtre

Dans ces toilettes, nous rencontrons une femme d’environ 80 ans, responsable du lieu. Lorsque nous voulons payer notre passage, elle nous prend soudain dans ses bras. En larmes, elle nous raconte son histoire — un récit simple, chargé d’émotion, de foi, de reconnaissance. Nous ne comprenons pas tout, mais l’essentiel est ailleurs. Dans ses yeux brillent la dignité, la douleur, la gratitude.

À cet instant précis, le pèlerinage change de nature.
Wadowice n’est plus seulement la ville du pape.
Elle devient le théâtre d’une rencontre humaine.

Un moment suspendu.
Un souvenir que nous n’oublierons jamais.

Récapitulatif des nuitées

31 juillet 2019 : Aire de Ussy sur Marne - 667,5 kilomètres
01 août 2019 : Alsfeld (Allemagne) - 1286 kilomètres
02 août 2019 : Leśna - 1788 kilomètres
03 août 2019 : Jakuszyce, Szklarska Poręba - 1855 kilomètres
04 août 2019 : Jakuszyce, Szklarska Poręba - 1855 kilomètres
05 août 2019 : Otmuchów - 2040 kilomètres
06 août 2019 : Wadowice - 2283 kilomètres

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