Lorsque l’eau porte la plume

Lorsque l’eau porte la plume, il est agréable de sentir comme une onde de légèreté. Le geste s’adoucit, la main devient passagère. On n’écrit plus contre le monde, on s’y fond, on se laisse traverser par sa lenteur. L’eau ne résiste pas : elle accueille, elle modèle, elle murmure. Sous sa caresse, l’encre se répand comme un souffle, dessinant des lignes qu’aucune volonté ne commande vraiment.

Chaque mot semble naître d’un secret accord entre le silence et le mouvement. Il y a dans cette union une forme d’abandon, une confiance paisible en la fluidité des choses. Rien ne cherche à retenir le sens ; tout s’écoule, tout s’oublie. Les phrases deviennent des rivières, les virgules des remous, et les points, peut-être, de minuscules éclats de lumière qui reposent sur la surface.


L’écriture, alors, ressemble à une traversée. Non pas vers un but, mais vers un apaisement. Le regard se délie, l’esprit s’ouvre, et l’on entend presque, au creux de soi, la musique muette du monde. C’est un murmure sans origine, sans bord, une respiration qui s’étire dans le temps.

Parfois, une image s’élève, fragile, tremblante, comme une feuille portée par le courant. Elle ne dure qu’un instant, mais cet instant contient tout : le ciel, le vent, la mémoire du regard. Elle se dépose sur la page avec la délicatesse d’une confidence, avant de s’effacer dans la blancheur qui l’attendait déjà. 

Alors on comprend que la plume n’écrit pas pour dire, mais pour écouter. Elle recueille ce qui passe, les échos des choses légères, les ombres du matin, la douceur du presque rien. Elle traduit le glissement du monde dans la conscience, comme l’eau traduit la lumière sans jamais la retenir.

Sous la main, le papier devient un rivage mouvant. Les mots y échouent, s’y rassemblent, s’y effacent à nouveau. L’encre, parfois, déborde, comme si le cœur, trop plein, cherchait à se déverser au-delà des lignes.Et dans cette lente noyade du langage, quelque chose de pur demeure : une clarté sans contours, un silence habité.

Lorsque la plume s’arrête, le monde continue d’écrire. L’eau poursuit son œuvre invisible : elle sculpte la mémoire, polit les blessures, relie ce qui semblait séparé. On ferme les yeux, on sent encore le flux sous la peau. On ne sait plus très bien si l’on a écrit un texte ou si l’eau, simplement, a rêvé à travers nous.

Et dans cet effacement, une paix s’installe. Une paix légère, presque transparente. Comme si, en laissant l’eau porter la plume, on avait enfin trouvé la manière juste d’exister, non plus en gravant, mais en glissant.

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